Alexandre Pouchkine
Conte du pope et de son serviteur Balda

Il était un pope, pope de peu de cervelle. Ce pope se rendait au marché, pour acheter différentes choses.

Il rencontra Balda; allant où? Balda ne le savait lui-même.

— Pourquoi, pope, dit-il, t’être levé de si bonne heure? Que cherches-tu?

Et le pope de répondre:

— Je cherche un serviteur, qui, tout à la fois cuisinier, cocher et charpentier, ne soit pas trop cher. Où trouver pareil serviteur?

Balda de répliquer:

— Je te servirai bien, avec zèle et très exactement, pour trois chiquenaudes par an à te donner sur le front. Quant à la nourriture, sers-moi de l’épeautre cuite.

Le pope de réfléchir, de se gratter le front. C’est qu’il y a chiquenaude et chiquenaude... Mais Russe, il décide de s’en remettre au hasard.

— Bien, dit le pope à Balda, nous n’y perdrons ni l’un ni l’autre. Viens vivre dans ma maison, montre ton zèle et ton habileté.

Balda vit dans la maison du pope. Il dort sur la paille, mange pour quatre, travaille pour sept. Dès avant l’aube, tout entre en danse. Il attelle le cheval. Il laboure le champ. Il allume le poêle, fait toutes les provisions et s’il cuit un œuf, l’épluche en même temps.

La femme du pope de se louer de Balda. La fille du pope de se soucier de Balda. Le fils du pope de l’appeler «Petit père». Balda prend soin de l’enfant, il prépare sa bouillie. Seul, le pope n’aime pas Balda, jamais il ne lui adresse de paroles amicales.

Souvent, il pense à l’échéance. Le temps passe; l’heure en est proche. Le pope ne mange, ni ne boit, ni ne dort des nuits et des nuits. À l’avance son front tressaille.

Et d’avouer tout à sa femme:

— Il en est ainsi... et ainsi... Que reste-t-il à faire?

En ruses de toutes sortes, les femmes ont l’esprit inventif, fertile.

— Pour écarter de nous cette calamité, je connais un moyen, dit la femme du pope. Ordonne à Balda quelque travail qu’il ne puisse accomplir. Exige que point par point il l’exécute. Tu mettras ton front à l’abri du châtiment et tu laisseras Balda sans paiement.

Au cœur du pope revint la gaieté. Avec aplomb, il regarde Balda et voici qu’il lui crie:

— Eh là! viens ici, Balda, mon fidèle serviteur. Écoute, les diables ont promis de me payer un tribut jusqu’à l’heure de ma mort. Je n’aurais pas besoin de meilleur revenu, mais ils ont après eux trois ans d’arrérages. Dès que tu seras rassasié d’épeautre, va lever tribut complet à tous les diables.

Sans vainement discuter avec le pope, Balda de s’en aller et de s’asseoir au bord de la mer. Là, il prit une corde et, trempant le bout dans la mer, la fit tourner entre ses doigts.

Voici que de la mer sortit un vieux diable.

— Pourquoi te fourres-tu chez nous, Balda?

— Eh bien, je veux rider la mer avec cette corde et faire se tordre votre race maudite.

Du vieux diable, alors, s’empara la mélancolie.

— Dis-moi, pourquoi pareille disgrâce?

— Comment! pourquoi? Vous ne payez pas le tribut. Vous oubliez les délais assignés. Je me divertirai tout à l’heure de façon qui vous gênera fort, chiens que vous êtes.

— Mon cher petit Balda, attends, avant que de rider la mer. Tu recevras bientôt un tribut complet. Attends, je vais t’envoyer mon petit-fils.

— Il me sera facile de tromper celui-là, se dit Balda.

Le diablotin envoyé sortit de l’eau et, comme un jeune chat affamé, il se mit à miauler.

— Bonjour, Balda, mon petit moujik. Quel tribut te faut-il? Nous n’avons jamais entendu parler de tribut. Pareils ennuis n’ont encore frappé les diables. Mais d’accord pour le tribut; à cette condition, cependant, et de notre consentement commun, pour qu’à l’avenir personne n’ait sujet de se plaindre: que celui de nous qui le plus vite fera le tour de la mer, lève un tribut complet. Pendant ce temps, là-bas on préparera le sac.

Malicieusement, Balda se prit à rire:

— Qu’as-tu donc imaginé? Comment pourrais-tu te mesurer à moi? à moi, Balda lui-même! Quel adversaire me fut envoyé! Attends un peu mon petit frère!

Balda se rendit au bois le plus proche. Il attrapa deux lapins qu’il fourra dans un sac, puis s’en retourna vers la mer et retrouva le diablotin.

Balda tenant par les oreilles l’un des lapins:

— Danse un peu au son de notre balalaïka! Toi, diablotin, tu es encore trop jeune, trop faible pour te mesurer à moi. Ce ne serait que temps perdu. Dépasse d’abord mon petit frère. Un, deux, trois, rattrape-le!

Diablotin et lapin s’élancèrent, le diablotin tout au long de la mer, le petit lapin vers son terrier, dans la forêt.

Voici qu’ayant parcouru tout le tour de la mer, le diablotin accourt, tirant la langue, levant son petit museau, tout essoufflé, tout trempé, s’essuyant avec ses pattes, croyant avoir vaincu Balda.

Mais, tiens! Balda caresse son petit frère!

— Mon bien-aimé petit frère! Tu es fatigué! Pauvre petit! repose-toi, mon chéri!

Le diablotin resta muet. Serrant sa queue entre ses jambes, il se tint immobile et, lançant des regards sournois au petit frère:

— Attends, dit-il, je cours chercher le tribut.

Il alla trouver son grand-père et lui dit:

— Malheur! le petit frère de Balda m’a dépassé à la course.

Le vieux diable réfléchit alors longuement; mais Balda fit un tel tintamarre que la mer entière en fut troublée, que les vagues se mirent à danser. Le diablotin sortit.

— Allons, assez, mon petit moujik! Nous allons t’envoyer tout le tribut. Écoute seulement. Vois-tu ce bâton! Choisis n’importe quelle cible. Celui de nous qui jettera ce bâton le plus loin emportera le tribut. Eh bien! As-tu peur de te disloquer le bras? Qu’attends-tu?

— J’attends seulement que passe ce nuage, j’y lancerai ton bâton, et puis, avec vous, les diables, je commencerai la danse.

Le diablotin effrayé s’en fut chez son grand-père, conter la victoire de Balda. Balda de se remettre à mener grand tapage à la surface de la mer. Balda de menacer les diables de sa corde.

De nouveau, le diablotin sortit.

— Pourquoi t’agiter? Tu auras le tribut si tu veux...

— Non, dit Balda. À mon tour, maintenant. J’indiquerai moi-même la condition. Mon petit ennemi, je vais te fixer une épreuve. Voyons quelle est ta force. Vois-tu là-bas cette jument baie? Enlève-la donc et porte-la pendant une demi-verste. Si tu enlèves la jument, le tribut te reviendra ; si tu ne l’enlèves pas, il est à moi.

Le malheureux diablotin se glissa sous la jument, se roidit, tendit toutes ses forces, la souleva, fit deux pas, et, de tout son long, s’étendit au troisième. Balba lui dit alors:

— Sot petit diable que tu es! Quelles grimaces fais-tu derrière nous! Avec les mains tu n’as pu l’enlever! Eh bien, regarde, moi, je l’enlève entre mes jambes.

Balda enfourcha la jument et parcourut une verste au grand galop, de telle sorte que la poussière s’élevait en colonnes. Effrayé, le diablotin s’en fut trouver son grand-père, lui conta une telle victoire. Il n’y avait plus à ruser. Les diables rassemblèrent un tribut complet et chargèrent le sac sur le dos de Balda.

 

* * *

 

Balda s’avance haletant. Le pope, l’apercevant, sursaute, se cache derrière sa femme, se tord de frayeur. Balda de le trouver là, de lui remettre le tribut, de réclamer son salaire. Le pauvre pope tendit le front.

À la première chiquenaude, au plafond le pope sauta; à la seconde, le pope perdit l’usage de la parole; à la troisième, l’esprit du vieillard déménagea. Et d’un ton de reproche, à chacune des chiquenaudes, Balda répétait:

— Pope! Pope! tu n’aurais pas dû, toi, courir après de si bas prix!

Traduit par E. Vivier-Kousnetzoff
(Contes de Pouchkine. Paris, R. Kieffer, 1925.)

Александр Пушкин
Сказка о попе и о работнике его Балде

Жил-был поп,
Толоконный лоб.
Пошёл поп по базару
Посмотреть кой-какого товару.
Навстречу ему Балда
Идёт, сам не зная куда.
«Что, батька, так рано поднялся?
Чего ты взыскался?»
Поп ему в ответ: «Нужен мне работник:
Повар, конюх и плотник.
А где найти мне такого
Служителя не слишком дорогого?»
Балда говорит: «Буду служить тебе славно,
Усердно и очень исправно,
В год за три щелка тебе по лбу,
Есть же мне давай варёную полбу».
Призадумался поп,
Стал себе почесывать лоб.
Щёлк щелку ведь розь.
Да понадеялся он на русский авось.
Поп говорит Балде: «Ладно.
Не будет нам обоим накладно.
Поживи-ка на моем подворье,
Окажи своё усердие и проворье».
Живёт Балда в поповом доме,
Спит себе на соломе,
Ест за четверых,
Работает за семерых;
До́ светла всё у него пляшет,
Лошадь запряжет, полосу вспашет,
Печь затопит, всё заготовит, закупит,
Яичко испечёт да сам и облупит.
Попадья Балдой не нахвалится,
Поповна о Балде лишь и печалится,
Попёнок зовёт его тятей;
Кашу заварит, нянчится с дитятей.
Только поп один Балду не любит,
Никогда его не приголубит,
О расплате думает частенько;
Время идёт, и срок уж близенько.
Поп ни ест, ни пьёт, ночи не спит:
Лоб у него заране трещит.
Вот он попадье признается:
«Так и так: что делать остается?»
Ум у бабы догадлив,
На всякие хитрости повадлив.
Попадья говорит: «Знаю средство,
Как удалить от нас такое бедство:
Закажи Балде службу, чтоб стало ему невмочь;
А требуй, чтоб он её исполнил точь-в-точь.
Тем ты и лоб от расправы избавишь
И Балду-то без расплаты отправишь».
Стало на сердце попа веселее,
Начал он глядеть на Балду посмелее.
Вот он кричит: «Поди-ка сюда,
Верный мой работник Балда.
Слушай: платить обязались черти
Мне оброк по самой моей смерти;
Лучшего б не надобно дохода,
Да есть на них недоимки за три года.
Как наешься ты своей полбы,
Собери-ка с чертей оброк мне полный».
Балда, с попом понапрасну не споря,
Пошёл, сел у берега моря;
Там он стал верёвку крутить
Да конец её в море мочить.
Вот из моря вылез старый Бес:
«Зачем ты, Балда, к нам залез?»
— Да вот верёвкой хочу море мо́рщить,
Да вас, проклятое племя, корчить. —
Беса старого взяла тут унылость.
«Скажи, за что такая немилость?»
— Как за что? Вы не плотите оброка,
Не помните положеного срока;
Вот ужо будет вам потеха,
Вам, собакам, великая помеха. —
«Ба́лдушка, погоди ты морщить море,
Оброк сполна ты получишь вскоре.
Погоди, вышлю к тебе внука».
Балда мыслит: «Этого провести не штука!»
Вынырнул подосланный бесёнок,
Замяукал он, как голодный котёнок:
«Здравствуй, Балда мужичок;
Какой тебе надобен оброк?
Об оброке век мы не слыхали,
Не было чертям такой печали.
Ну, так и быть — возьми, да с уговору,
С общего нашего приговору —
Чтобы впредь не было никому горя:
Кто скорее из нас обежит около моря,
Тот и бери себе полный оброк,
Между тем там приготовят мешок».
Засмеялся Балда лукаво:
«Что ты это выдумал, право?
Где тебе тягаться со мною,
Со мною, с самим Балдою?
Экого послали супостата!
Подожди-ка моего меньшого брата».
Пошел Балда в ближний лесок,
Поймал двух зайков, да в мешок.
К морю опять он приходит,
У моря бесенка находит.
Держит Балда за уши одного зайку:
«Попляши-тка ты под нашу балалайку:
Ты, бесёнок, ещё молоденек,
Со мною тягаться слабенек;
Это было б лишь времени трата.
Обгони-ка сперва моего брата.
Раз, два, три! догоняй-ка».
Пустились бесёнок и зайка:
Бесёнок по берегу морскому,
А зайка в лесок до дому.
Вот, море кругом обежавши,
Высунув язык, мордку поднявши,
Прибежал бесёнок, задыхаясь,
Весь мокрёшенек, лапкой утираясь,
Мысля: дело с Балдою сладит.
Глядь — а Балда братца гладит,
Приговаривая: «Братец мой любимый,
Устал, бедняжка! отдохни, родимый».
Бесёнок оторопел,
Хвостик поджал, совсем присмирел.
На братца поглядывает боком.
«Погоди, — говорит, — схожу за оброком».
Пошёл к деду, говорит: «Беда!
Обогнал меня меньшой Балда!»
Старый Бес стал тут думать думу.
А Балда наделал такого шуму,
Что всё море смутилось
И волнами так и расходилось.
Вылез бесенок: «Полно, мужичок,
Вышлем тебе весь оброк —
Только слушай. Видишь ты палку эту?
Выбери себе любимую мету.
Кто далее палку бросит,
Тот пускай и оброк уносит.
Что ж? боишься вывихнуть ручки?
Чего ты ждёшь?» — Да жду вон этой тучки;
Зашвырну туда твою палку,
Да и начну с вами, чертями, свалку».
Испугался бесенок да к деду,
Рассказывать про Балдову победу,
А Балда над морем опять шумит
Да чертям верёвкой грозит.
Вылез опять бесенок: «Что ты хлопочешь?
Будет тебе оброк, коли захочешь…»
— Нет, говорит Балда, —
Теперь моя череда,
Условия сам назначу,
Задам тебе, вражёнок, задачу.
Посмотрим, какова у тебя сила.
Видишь, там сивая кобыла?
Кобылу подыми-тка ты,
Да неси её полверсты;
Снесёшь кобылу, оброк уж твой;
Не снесёшь кобылы, ан будет он мой. —
Бедненький бес
Под кобылу подлез,
Понатужился,
Понапружился,
Приподнял кобылу, два шага шагнул,
На третьем упал, ножки протянул.
А Балда ему: «Глупый ты бес,
Куда ж ты за нами полез?
И руками-то снести не смог,
А я, смотри, снесу промеж ног».
Сел Балда на кобылку верхом,
Да версту проскакал, так что пыль столбом.
Испугался бесёнок и к деду
Пошёл рассказывать про такую победу.
Делать нечего — черти собрали оброк
Да на Балду взвалили мешок.
Идёт Балда, покрякивает,
А поп, завидя Балду, вскакивает,
За попадью прячется,
Со страху корячится.
Балда его тут отыскал,
Отдал оброк, платы требовать стал.
Бедный поп
Подставил лоб:
С первого щелка
Прыгнул поп до потолка;
Со второго щелка
Лишился поп языка;
А с третьего щелка
Вышибло ум у старика.
А Балда приговаривал с укоризной:
«Не гонялся бы ты, поп, за дешевизной».

Стихотворение Александра Пушкина «Сказка о попе и о работнике его Балде» на французском.
(Alexander Pushkin in french).